Dire qu'Olivier de Wasseige est une araignée dans la toile du business wallon est un euphémisme. Depuis plus de 20 ans, il est à la tête de l'Union wallonne des entreprises, d'abord au poste de vice-président et, depuis 2017, comme administrateur délégué. Il siège dans plus de cinq conseils d'administration et s’implique dans plusieurs initiatives entrepreneuriales. Il est, c’est évident, l'homme idéal pour jauger l'état d'esprit des entreprises wallonnes, touchées de plein fouet par la crise.
“Nos enquêtes mensuelles montrent que la confiance des entreprises est en baisse depuis plus de six mois”, déclare Olivier de Wasseige. “Presque tous les secteurs souffrent de la crise, bien que la construction semble y échapper partiellement: il y a effectivement des annulations, mais pour l'instant, l'impact n'est pas extrêmement lourd.”
Les causes possibles ne sont pas difficiles à trouver. Les factures d'énergie à elles seules ont été aisément multipliées par cinq pour de nombreuses entreprises. “La majorité des petites entreprises ayant encore un contrat d’énergie fixe, elles ne sont pas concernées pour le moment. Certaines usines, en revanche, doivent arrêter temporairement leur production parce que l'énergie est devenue inabordable.”
Les tarifs des matières premières flambent eux aussi. Certaines entreprises ont même perdu des maillons entiers de leur chaîne logistique. “La situation est particulièrement difficile dans le secteur pharmaceutique. Par ailleurs, le ‘grenier à blé de l'Europe’ qu’a longtemps incarné l'Ukraine est désormais vide. L'impact de la guerre s'est notamment fait sentir cet été lorsque les usines de moutarde ont connu des problèmes en raison d’une pénurie de graines.”
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Les factures d'énergie ont été aisément multipliées par cinq pour de nombreuses entreprises.
10 pour le prix de 11
Avant que l'horizon se dégage, nous connaîtrons cependant le pire, prévient Olivier de Wasseige: l'indexation automatique des salaires de plus de 10%. “La Belgique est l'un des rares pays européens à appliquer cette indexation automatique. Supposons qu'une PME compte 10 employés: elle paiera pour 11 employés après indexation alors que la production est toujours celle de 10 personnes. Selon moi, les entreprises embaucheront moins ou licencieront du personnel. Du fait de la crise énergétique, elles peuvent recourir au chômage temporaire, mais lorsque cette crise sera terminée, l'indexation sera toujours bel et bien là!”
“Pour affronter ce choc financier, les entreprises réaliseront des économies en réfléchissant, entre autres, à la manière de consommer moins d’énergie ou de gérer plus intelligemment cet aspect. La société wallonne I-care, qui travaille sur la maintenance prédictive, ne parvient plus à suivre les demandes. En réparant les machines avant qu'elles ne tombent en panne, par exemple, on évite les immobilisations et l’on peut vérifier immédiatement si elles consomment trop d'énergie. Quoi qu'il arrive, la smart energy jouera un rôle majeur. Jusqu'à présent, les émissions d'une usine augmentaient linéairement avec la production; à l'avenir, nous devrons produire plus tout en émettant moins, ce qui n'est possible que grâce à de nouvelles machines ou à de nouveaux procédés. En Wallonie, une réduction d'impôt s'applique aux entreprises qui s'engagent dans la durabilité, ce qui constitue une incitation supplémentaire. Sans oublier que l'automatisation et la robotisation peuvent compenser l'indexation.”
Reculer pour mieux sauter
Les entreprises doivent donc non seulement économiser de l'argent, mais aussi continuer à innover. “Les chefs d'entreprise ont peur d'investir sans savoir quels fruits ils récolteront, surtout à une époque où les consommateurs dépensent moins parce que leur confiance dans l'économie s’est érodée”, note Olivier de Wasseige. “Pourtant, il est important que les entreprises réfléchissent à la manière de diversifier leurs produits et services. Il peut également être judicieux de se développer sur des marchés de débouchés intéressants. Pensez à l'Amérique, à présent que le dollar s’est bien relevé.”
“De nombreuses entreprises ont survécu à la crise sanitaire en puisant dans leurs réserves financières. Si, dans l'ensemble, les grandes entreprises ont davantage de réserves que les petites, elles ne peuvent jamais cesser d'innover. Certaines entreprises peuvent assurément tirer profit de cette crise, en modifiant leur produit, leur processus ou leur marché. Si elles doivent interrompre temporairement leur production maintenant, c'est le moment de se concentrer sur la recherche et le développement. Cela peut paraître ironique de dire cela, mais c’est en quelque sorte un mal pour un bien.”